Rue du rendez-vous manqué.

          C'était le vendredi 22 avril 2011. J'avais décidé de me rendre à l'exposition mode d'emploi n° 13. Rue du rendez-vous, 12e arrondissement de Paris. Évidemment, pris par les occupations du jour j'avais omis de me munir dudit mode d'emploi. Restait l'exposition. Sans doute le trouverais-je sur place ce mode d'emploi. Arrivé par l'autobus n° 64, je rejoignis ladite rue. Rigole minérale sous le ciel bleu d'avril. Je la remontai. Quatre cent soixante-dix mètres. C'est à peu près la longueur de la Grande Galerie du Louvre qui est aussi un lieu d'exposition. Et retour. Mais pas de mode d'emploi. Pas non plus de visiteurs. Quel passant ? Et l'artiste ? Est-il là ? Quelle silhouette serait celle d'un visiteur ? À quoi ça ressemble un visiteur d'exposition mode d'emploi ? Il était 18 heures 30. Une demie-heure de retard sur le rencart.
           Il fallut donc me résoudre à visiter sans mode d'emploi. Alors, j'ouvrai les yeux sur tout ce qui pouvait « faire exposition ». Et voici. Ce jeune homme portant un sabre japonais. Fourreau en soie violette et motifs de fleurettes plus claires. Élégante torsade jaune. Est-il « exposé » ? À la terrasse d'un café, des jeunes gens joyeux. L'un photographie une jeune femme qui pose en modèle. Exposition. La rue. Le flux de la vie. Le caniveau ruisselle d'une eau claire. Dans le sens de la pente. Soit vers la place de la Réunion. Déjà un peu de temps a passé. Il doit être 18 heures 40. Ou peut-être même 45. Un magasin porte l'enseigne « Idéal Vision ». Serait-ce l'exposition recherchée ? Ou, un peu plus loin, ce studio de photo. Son nom ? « Bel Air ». Les devantures des commerces sont à la rue du Rendez-vous ce que les chefs d'oeuvre italiens de la Grande Galerie sont au Louvre. D'ailleurs, l'activité commerciale est bien le contraire de l'activité patrimoniale.
           Quoi encore ? Voici une affiche annonçant un cours de dessin. Elle représente un personnage du carnaval de Venise. Le chapeau avec quelques plumes, la grande cape noire qui cache le corps et surtout le masque blanc ! Et le mendiant à l'entrée du Franprix, sa bière ayant dégouliné sur le trottoir à ses côtés : un figurant ? Non. Je le reconnais. Sa barbe a poussé mais c'est lui qui tournait place Bérault il y a quelques mois. Il a simplement changé de bureau. Je suis content de le retrouver. Savoir qu'il n'a pas disparu. Et qu'il a toujours sa bière pour le moment qui passe. Le bureau du PCF. Lui non plus n'a pas disparu. Une boutique de fleurs à dominantes rose et violet, un fumeur de cigare qui emplit l'air d'un parfum de tabac âcre, les surgelés Picard. Quelle expo ?
           Ici, j'entre à l'église. L'Immaculée Conception. Mais oui, c'est bien cela. Nous sommes le vendredi saint. À l'entrée se dresse un grand crucifix de bois sorti pour la fête, entièrement voilé d'un beau drapé lui aussi violet. Tour du déambulatoire. Certains se recueillent. Ferveur. La dernière station du chemin de croix est également voilée. Un homme installe des micros. Du coup, j'y vois comme un signe : l'exposition du Seigneur. Même si manifestement le vernissage n'a pas commencé. En sortant de l'église me voilà rendu à la vie profane avec ses richesses qui apparaissent soudainement si précieuses : poissons venus de la mer, fromages, fruits et légumes en abondance. Providence. Et ce « Repaire de Bacchus » qui fait concurrence au vrai Dieu. La bijouterie du coin ne s'appelle-t-elle pas « Oméga » ? Et le magasin de décor de la maison « Une touche en plus » fait scintiller ses luminaires. Je cherche l'artiste sur son scooter. Un Scarabeo. Mais non, c'est un livreur de pizzas qui enfile son casque. Pas une rencontre, non, mais un signe. Rue du rendez-vous pour une autre fois. Une exposition ? Une promesse peut-être.

 

Arnauld Le Brusq, le vendredi de Pâques 2011, "Rue du rendez-vous manqué".

Copyleft : ce texte est libre, vous pouvez le copier, le diffuser et le modifier

selon les termes de la Licence Art Libre.